Relations Japon-Chine : Un Équilibre Délicat entre Admiration, Méfiance et Nécessité

Le Japon se retrouve dans une équation difficile à résoudre, pris en tenaille entre la Chine, son puissant voisin continental, et les États-Unis, son allié. Face aux États-Unis, le Japon se situe dans une relation amour-haine. En vérité, il doit tout à son mentor : la possibilité même d’exister d’abord, la démocratie - qu’il interprète certes à sa façon -, aux conservateurs d’avoir pu rester au pouvoir quasi sans discontinuer depuis la fin de la guerre, aux ouvriers d’avoir la possibilité de s’exprimer à travers des syndicats aussi conformistes soient-ils, aux agriculteurs d’avoir enfin leur terre à eux, à sa jeunesse d’avoir eu accès à une nouvelle culture permettant une forme d’émancipation.

Et bien sûr, aujourd’hui, il peut se protéger sous son parapluie nucléaire car alors que la guerre faisait rage autour de lui sur le théâtre asiatique (Corée, Vietnam), il a pu se développer en paix. Face à la Chine, c’est aussi un sentiment trouble fait d’admiration, de jalousie et de peur. Centre de l’univers dans lequel le Japon s’est peu à peu constitué en nation, en partie face à lui, l'Empire du Milieu lui a en quelque sorte permis de se sentir en sécurité dans un monde centré sur l’hégémon chinois.

Il lui doit son écriture, ses traits de pensée confucianiste et bien d’autre chose. Fascination donc, mais aussi crainte que le géant asiatique cherche à se venger des vingt millions de morts que lui a infligées l’armée impériale et dont les comptes sont loin d’être soldés. Crainte d’être de plus en plus recalé dans la hiérarchie tellement fondamentale dans la pensée confucianiste dont il reste imprégné. Crainte aussi des frictions qu’impose la Chine à ses garde-côtes notamment autour des îles Senkaku et auxquels il ne sait en vérité comment répondre tant celles-ci se font au cas par cas sans qu’il lui soit possible de réagir avec un plan précis, avec toujours pour horizon un conflit plus direct.

Carte des îles Senkaku, source : Wikipedia

Les Enjeux Économiques et la Dépendance Mutuelle

C’est ainsi qu’il faut comprendre pourquoi il entend s'opposer à toute tentative américaine de l'intégrer à un bloc économique aligné contre la Chine. Mais par ailleurs, nombre de responsables ne souhaitent pas se laisser entraîner dans les efforts américains visant à maximiser la pression commerciale sur la Chine en limitant ses propres interactions économiques avec Pékin, principal partenaire commercial et source importante de biens et de matières premières.

L'industrie manufacturière japonaise a été durement touchée lorsque la Chine a restreint les exportations de terres rares vers le Japon en 2010, dans un contexte de conflit politique. Le Japon se méfie de restrictions similaires après que Pékin a ajouté sept terres rares à sa liste de contrôle des exportations, plus tôt ce mois-ci, en réponse aux droits de douane punitifs imposés par Washington.

Alors que le Japon s'efforce de conclure un accord avec les États-Unis, le gouvernement du dirigeant chinois Xi Jinping a mis en garde les Etats contre la conclusion d'accords avec les États-Unis à son détriment. Plutôt que de ralentir les échanges commerciaux, Tokyo tente d'obtenir de la Chine qu'elle reprenne ses importations de fruits de mer et de bœuf en provenance du Japon.

Environ 20 % du commerce total du Japon se fait avec la Chine, soit plus que ses échanges avec les États-Unis. Le Japon doit donc faire preuve de la plus extrême prudence dans ses relations sino-américaines, étant entendu qu’il s'appuie fortement sur les États-Unis, son seul allié officiel en matière de sécurité mais qu’en même temps toute demande de Washington à Tokyo de dégrader ses relations économiques avec la Chine pourrait porter un coup majeur au Japon non seulement sur ce plan, mais aussi sur le plan sécuritaire.

Le Japon : un archipel en crise | Une leçon de géopolitique | ARTE

D’autant que la confiance en la protection américaine d’un Trump isolationniste s’effrite : 70 % de la population japonaise ne fait plus confiance à l’allié militaire américain.

L'Histoire Complexe des Relations Sino-Japonaises

En 1906 paraît Paix japonaise : le Japon et la paix de l'Extrême-Orient, un ouvrage signé Louis Aubert. L'année précédente, le Mikado, empereur du Japon, a mis une raclée au tsar, lors de la guerre russo-japonaise. L’auteur nous explique que "le prestige du Japon en Asie orientale tient à la réussite d’un programme d’éducation. En moins de cinquante ans, il a su prendre de la science européenne ce qui donne la force, tout en sauvegardant son ancienne civilisation qui, presque entièrement est d’origine chinoise".

La civilisation chinoise et le prestige du Japon, c’est l’histoire de deux puissances qui se regardent. Au début de la dynastie des Tang, au VIIe siècle de notre ère, la Chine rayonne. Tout juste réunifiée, elle prospère économiquement, multiplie les avancées technologiques et innove dans les domaines des arts et des idées. Si des contacts ont déjà eu lieu avec le Japon voisin, ceux-ci sont ponctuels et la diffusion de la culture chinoise sur l’archipel se fait progressivement.

"Les premiers contacts remontent aux époques très anciennes. On sait qu'il y a eu des ambassades dès le Ier-IIe siècle composées de membres de l'aristocratie locale, qui se rendaient en Chine pour remettre le tribut selon les règles de la diplomatie internationale à cette époque-là, en échange de reconnaissance", décrit l'historien Pierre-François Souyri.

Aux VIe et VIIe siècles, cette influence de la culture chinoise au Japon grandit considérablement. Les Japonais valorisent les apports de la culture chinoise dans tous les domaines : administratif, politique, mais aussi culturel et religieux. De véritables délégations diplomatiques japonaises sont mises en place et envoyées en Chine pour familiariser savants, moines et étudiants avec la culture de l’empire du Milieu : le bouddhisme, le néo-confucianisme, l’écriture chinoise, sa doctrine juridique…

"L'importance de la civilisation chinoise est parfaitement comprise par les élites japonaises au cours de cette époque dite ancienne. Mais très vite, on assiste à des phénomènes de 'japonisation'" à partir du IXe siècle, conclut Pierre-François Souyri, "pour une raison bien simple, c'est que l'empire Tang est entré en décadence et qu'il n'attire plus comme autrefois. Il n'a pas le prestige qu'il avait autrefois auprès des Japonais. (Ceux) qui vont en Chine reviennent assez déçus en disant qu'ils ne sont pas plus avancés qu'eux".

Expansionnisme japonais en Asie, source : Le Monde Diplomatique

Taïwan : Un Point de Friction Majeur

Alors que l'attention du monde se focalise sur les conflits au Moyen-Orient et en Ukraine, un autre foyer de crise couve en Asie orientale et risque d'éclater à tout moment, avec des répercussions à l'échelle mondiale et le potentiel de mener, à court, moyen ou long terme, à une guerre ouverte entre les premières et secondes puissances mondiales.

La République Populaire de Chine (RPC) a en effet pour objectif d’annexer (« unifier » selon son lexique en chinois, « réunifier » dans sa traduction en langue occidentale) par la force, si nécessaire, la République de Chine à Taïwan que Pékin considère comme appartenant à la RPC et le territoire que celle-ci contrôle et gouverne.

Si le « chairman » Xi Jinping fait de l’annexion de Taïwan la condition absolue et nécessaire pour parvenir à la « renaissance de la grande nation chinoise » depuis son arrivée au sommet du pouvoir en 2012, force est de constater une hésitation certaine du pouvoir chinois et/ou de l’Armée Populaire de Libération à passer à l’action devant l’ampleur des enjeux qu’ils se devraient rationnellement de prendre en compte : intervention militaire très probable des États-Unis qui ne peuvent se permettre « d’abandonner » leur allié de facto taïwanais au risque de se décrédibiliser dans la région en cas de non intervention ; conséquences négatives pour l’économie chinoise et pour son image au plan international avec des fortes sanctions à la clef en cas d’attaque non provoquée du côté adverse ; capacité actuelle de l’Armée Populaire de Libération de livrer une guerre d’envergure (elle n’a plus livré de guerre depuis son invasion du Vietnam en 1979, sans succès) contre les États-Unis et leurs alliés de la région (Japon, Australie, Philippines, Corée du Sud, Thaïlande, Taïwan, voire certains pays membres de l’OTAN), souci éventuel (Cf. massacre de la Place Tian’anmen en 1989) d’éviter un bain de sang entre « compatriotes chinois », etc.

Au cours de ces dernières années et jusqu’à aujourd’hui, Pékin multiplie les incursions aériennes et maritimes de plus en plus rapprochées dans l’ADIZ (Zone d’Identification de Défense Aérienne) taïwanaise ; tirs de missiles armés dans les eaux taïwanaises (et dans la ZEE japonaise) ; mises en scène de blocus (encerclement) de l’île par des moyens militaires ; arrestations et condamnations d’entrepreneurs taïwanais sur le sol continental au prétexte qu’ils nourriraient des pensées « indépendantistes », etc.

Dans sa très grande majorité, la population de la jeune démocratie taïwanaise (première élection présidentielle et législatives au suffrage universel direct en 1996) se prononce en faveur du maintien du statu quo et s’oppose dans tous les cas à une « unification » avec la RPC qui serait pour elle synonyme « d’annexion » pure et simple et de suppression de ses libertés fondamentales et d’un État de droit chèrement acquis, comme cela a été le cas pour Hong Kong après sa reprise en main brutale par Pékin.

Dans le même temps, Taïwan exporte près de 40 % de ses marchandises vers le marché chinois (y compris Hong Kong) mais l’on observe aussi une baisse constante de celles-ci comme de ses investissements sur le continent. Si les États-Unis, comme tous les autres pays n’entretenant pas de relations diplomatiques avec la République de Chine à Taïwan, adhèrent au principe d’« une seule Chine » et « ne soutiennent pas l’indépendance de Taïwan », principes auxquels tient obstinément Pékin, Washington (et aussi Tokyo d’ailleurs) ne fait que « prendre note » (acknowledge) mais sans l’accepter de la position de la RPC selon laquelle Taïwan ferait partie intégrante du territoire chinois, estimant que le statut juridique au regard du droit international de Taïwan reste à ce jour « indéterminé ».

Le TRA stipule en outre que les États-Unis « considèreront tout effort pour déterminer l’avenir de Taïwan par d’autres formes que pacifiques, y compris par boycott ou embargo, comme une menace à la paix et à la sécurité de la région du Pacifique occidental et une grave préoccupation pour les États-Unis ».

Voisin immédiat de Taïwan, le Japon est économiquement très lié à la Chine mais sentimentalement très proche de Taïwan pour des raisons historiques (l’île fut colonisée par l’empire nippon de 1895 à 1945 et demeure jusqu’à ce jour très nippophile). Tokyo a par ailleurs un intérêt vital à ce que sa route d’approvisionnement en ressources énergétiques en provenance du Moyen-Orient, qui passe au large de Taïwan, ne soit pas coupée au cas où la Chine passerait à l’action (tentative d’invasion ou de blocus) contre l’île.

Avec ses intérêts économiques et commerciaux non négligeables en Chine, le Japon ne peut lui aussi déroger, au risque de mécontenter son puissant voisin, au principe d’« une seule Chine » tout en appelant Pékin à ne pas faire de vagues dans le détroit de Formose.

Les Îles Senkaku/Diaoyu : Un Litige Territorial Persistant

Les incidents se multiplient avec une régularité d’horloge suisse. En 2012, la situation a failli dégénérer quand le gouvernement japonais a “nationalisé” trois des îles en les rachetant à leur propriétaire privé. Ce conflit révèle une vérité dérangeante sur les relations internationales modernes : dans un monde où les ressources s’amenuisent et où la population explose, chaque parcelle de territoire devient potentiellement inflammable.

Plus troublant encore, cette querelle implique directement les États-Unis via leur traité de sécurité avec le Japon. Imaginez un peu : la première puissance mondiale et la deuxième qui s’affrontent pour quelques cailloux inhabités au milieu du Pacifique !

Souvenons-nous pourtant que Tokyo et Pékin disposent d’un accord afin de minimiser les risques d’incidents ou d’escalades autour des Senkaku. Il reste un élément important de cet épisode, qui est l’attitude vindicative avec laquelle la Chine obtenait du Japon la libération illico presto du capitaine du chalutier détenu à Tokyo. Dans la brume des Senkakus, des enjeux clairs qui constituent la toile de fond de la volonté chinoise de concurrencer le rôle du Japon et de son leadership régional, voire international.

La Guerre Commerciale et la Rivalité Économique

Cette guerre commerciale moderne ressemble à un jeu d’échecs géant où chaque coup déplace des milliards de dollars et redéfinit les équilibres régionaux. Le plus fascinant ? La trajectoire de leurs économies raconte une histoire captivante de dépassement et de revanche. Dans les années 1980, le Japon semblait invincible. Beaucoup prédisaient alors que l’économie japonaise dépasserait celle des États-Unis. C’était sans compter sur le réveil du dragon chinois !

Pour les Japonais, c’est un choc psychologique majeur. Leurs voisins, qu’ils avaient humiliés militairement puis dominés économiquement pendant des décennies, les surpassent désormais dans tous les domaines. Cette inversion des rapports de force bouleverse complètement la donne régionale. Le Japon, confronté au vieillissement de sa population et à la stagnation de sa croissance, voit ses entreprises partir massivement s’installer en Chine.

En réponse à de possibles représailles, le concept de « China plus one » , permettait aux industriels japonais de naviguer dans les pressions politiques.

Le Multilatéralisme et la Coopération Régionale

Le Japon s’est inscrit dans les pas des États-Unis en adoptant une ligne dure envers la Chine et les risques d’escalade des conflits commerciaux auraient de lourdes conséquences sur une économie japonaise très dépendante de la Chine.

Les ministres de l’industrie et du commerce des trois pays (Corée du Sud, Japon, Chine) se sont réunis à Séoul, pour discuter d’un accord de libre-échange, face aux relèvements de droits de douane décidés par Washington. Ils ont ainsi décidé de « poursuivre les discussions en vue d’accélérer les négociations vers un accord de libre-échange trilatéral complet » et « équitable », selon un communiqué commun.

Pour les trois pays, il s’agit d’« intensifier progressivement leurs coopérations » afin « de créer un environnement commercial prévisible, stabiliser les chaînes d’approvisionnement, améliorer la communication sur les contrôles à l’exportation », insiste Séoul dans une déclaration distincte.

A eux trois, la Chine, le Japon et la Corée du Sud représentent environ 20 % de la population du globe, un quart de l’économie mondiale et 20 % du commerce planétaire.

Les Invariants de la Politique Japonaise

Rivaux politiques et économiques, Japon et Chine ont souvent été en conflit. Chacun sait que la Chine et les États-Unis sont respectivement le premier partenaire commercial et sécuritaire du Japon, deux des plus anciens piliers de son retour au sein de la communauté internationale, mais, paradoxalement, ils s’opposent en deux mondes imperméables d’un ordre mondial fondé sur des règles d’un jeu devenu instable.

Dans ces conditions, comment la convergence de positions, entre économique et sécuritaire, se réalise-t-elle dans le rapport de forces de Tokyo pour favoriser sa gouvernance de géoéconomie.

Autrement dit, la préparation inévitable à investir encore davantage dans de nouveaux partenariats avec les pays de l’Asie du Sud-est.

L'Importance de la Sécurité et de l'Alliance Nippo-Américaine

Ainsi, dans tous ces domaines, les invariants dominants, se trouvent impliqué à un degré différent de celui qui semble le plus évoqué, qui se réfère aux éléments décrits ci-dessus, et qui est commun aux aspirations des deux pays : garantir leur sécurité.

Un autre facteur essentiel est la question de Taïwan. Les récents propos de Taro Aso, le vice Premier ministre japonais au sujet du rôle du Japon, selon lui le Japon aurait à soutenir les forces américaines à défendre le détroit, ont non seulement exaspéré Pékin, mais rappelé le pilier central de l’alliance nippo-américaine pour le Japon.

En simplifiant, on peut dire que le Japon prend cet autre invariant au sérieux de protéger Taïwan et ses zones grises. La sécurité de l’ordre international par l’alliance.

Le Rôle du Japon dans l'Équilibre Régional

Le Premier ministre japonais Yoshihide Suga a eu raison de dire : « Je crois fermement qu’il s’agit d’un ordre libre et ouvert fondé sur l’État de droit et non d’une force ou d’une coercition, qui apportera la paix et la prospérité à la région et au monde ».

Par cette stratégie, le Japon a gagné à sa cause l’administration de Joe Biden qui déclarait l’attachement indéfectible des États-Unis à la défense du Japon, il s’agissait de la question des îles Senkaku au titre de l’article 5 du traité nippo-américain. Aucun allié n’est plus important que le Japon pour Washington, seul Tokyo peut répondre militairement en cas d’engagement dans le détroit de Taïwan, le soutien australien aurait un problème majeur sachant l’éloignement géographique.

Pays Commerce avec le Japon (2020)
Chine 24% du commerce extérieur du Japon
États-Unis 15% du commerce extérieur du Japon

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